LIVE NIRVANA INTERVIEW ARCHIVE February 19, 1994 - Neuchâtel, CH

Interviewer(s)
Phillippe Roizes
Interviewee(s)
Krist Novoselic
Christophe Sourice
Publisher Title Transcript
Rock Sound Nirvana Par Les Thugs Yes (Français)

NIRVANA par les THUGS

ou la rencontre de deux hommes remarquables

Les deux se connaissent et s'apprécient ! Chris Novoselic, bassiste de Nirvana, et Christophe Sourice, batteur des Thugs vont s'entretenir des sujets les plus divers: leurs carrières respectives, leurs évolutions, leurs attentes, le punk-rock, la Yougoslavie, la culture occidentale.., et se retrouveront sur bien des points.

Nirvana et les Thugs Les fines bouches ne verront pas bien le rapport entre, d'un côté, le géant de Seattle, déclencheur du raz de marée actuel, détonateur bien malgré eux de la hype grunge et de l'escroquerie qu'elle a généré, et de l'autre l'une des meilleures ventes, sinon la meilleure du rock français. C'est que justement, ni les uns ni les autres ne réfléchissent en ces termes. Nirvana continue son chemin, du mieux qu'il peut, contre vents et marées. Quant aux Thugs, signés en Angleterre et licenciés dans toute l'Europe et aux Etats-Unis, ils ont depuis longtemps dépassé l'horizon restreint des frontières françaises. Mais ce qui rapproche le plus les deux groupes, excepté le fait que leur destinée se soit croisée sur Sub Pop, c'est une certaine vision du punk-rock, dont ils entretiennent, chacun à leur façon, le vivant. Les deux groupes sont devenus, dans leur pays, non pas des leaders mais une sorte de modèle. Il ne s'agit pas de les prendre au pied de la lettre et de s'engouffrer tête baissée en copiant tous les faits et gestes des uns et des autres, mais d'applaudir des parcours quasi sans faute, du moins du point de vue de l'éthique.

Nirvana, c'est l'histoire que vous connaissez ! Dans les sillons tracés par Green River, Soundgarden, Mudhoney et Tad, Sub Pop, label spécialisé dans le renouveau du cheveu long et du riff saignant, signe Nirvana, un jeune groupe de Seattle dont le premier 45 tours sort en 1988, suivi d'un premier album légendaire, "Bleach", bijou de nonchalance et de tension, très influencé par Black Sabbath et Melvins. Recommandé par Sonic Youth, le trio signe chez Geffen (BMG en France) et sort son second album, "Nevermind", brillant car totalement différent du précédent. Il faut croire que Nirvana fut le bon groupe au bon moment pour se retrouver hissé au top des ventes et passer du stade de losers du Northwest au rang de stars internationales. Vient le difficile passage au troisième album : retour à une production plus brute via Steve Albini avec "In utero". De belles melodies enrobées de fureur électrique ; hélas, le second souffle n'est pas au rendez-vous. Nirvana aurait-il tout dit'?

Pour les Thugs, il faut remonter plus tôt dans le temps... En 1983 pour être exact, lorsqu'un quatuor fan de punk-rock anglais et de rock'n'roll éternel se forme à Angers. Les choses iront vite ! Un premier 45 tours ne tardera pas à sortir sur Gougnaf Mouvement, dynamique association fouineuse de jeunes groupes plus ou moins talentueux. Puis il y aura Closer, avant de se retrouver sur le label des français expatriés à Londres, Vinyl Solution (désormais Roadrunner en France). Les albums et les EPs ("Frenetic dancing", "Electric troubles", "Dirty white race", "I.A.B.F." et "As happy as possible") se suivent, et un peu partout dans le monde, on se passionne pour ce groupe qui a su lier l'influence évidente des Buzzcocks, le garage, le hardcore rock de la Côte Ouest américaine, les mélodies arabisantes, des accents de noisy-pop et un certain goût pour ]es effusions de guitares. Les Thugs également finissent par pêcher par une répétition trop systématique d'une formule qui a pourtant fait sa griffe.

Ce soir-là pourtant, les deux groupes se sont retrouvés pour une date, à Neuchatel, en Suisse, pour un concert ultime où chacun, à la fois prisonnier et à l'aise dans son carcan rock (Nirvana avec Pat Smear, le légendaire guitariste des Germs, propose un superbe interlude acoustique où violoncelle et accordéon viennent se prêter main forte), a su créer l'électricité. La rencontre des deux Chris a eu lieu après ce concert.

Il existe des similarités frappantes entre Seattle et Angers ; ce sont toutes les deux de petites villes et pourtant les scènes musicales y sont très actives...

Christophe Sourice : Il y a quelque chose qu'on a remarqué quand nous sommes allés à Seattle. C'était il y a cinq ans, bien avant l'explosion du gruge. On a trouvé que c'était une ville beaucoup plus agréable que la plupart des autres aux Etats-Unis. Il y avait moins d'agressivité la mer et la campagne ne sont pas loin. Et puis, il y'avait effectivement beaucoup de groupes. Les gens qu'on a rencontrés dans cette scène étaient très simples, pas de look particulier. Ça nous rappelait bien des aspects d'Angers.

Chris Novoselic : Je me souviens lorsque Ies Thugs sont arrivés à Seattle, nous étions encore sur Sub Pop, dans l'underground. Je trouvais ça bien qu'ils amènent quelque chose de frais et qu'ils soient si simples. C'était la première fois qu'on voyait un groupe français. C'est bien que Sub Pop les ai signés. A l'époque, les majors ne s'intéressaient pas à tout cela.

C.S. : La différence entre Angers et Seattle, c'est que Seattle possédait déjà une grande histoire musicale. Nous étions d'ailleurs de grands fans des Sorties.

C.N. : Les Sorties étaient de Tacoma ! Bon, il y avait Jimi Hendrix, Heart, Kingsmen et Ventures.

Vous avez chacun tourné dans le pays de l'autre qu'est-ce qui vous a marqué ?

C.N. : Ça sonne comme un cliché mais le rock'n'roll est un langage international. Les geins réalisent à peu près de la même façon : l'émotion, l'enthousiasme, une sorte de folie. J'aime surtout les voitures françaises. J'ai une Renault Dauphine de 1960.

C.S. : Nous, on a tellement entendu parler des Etats-Unis et on a vu tellement de films que tu n'es pas réellement surpris quand tu arrives. Ce qui m'a surpris c'est que les gens vivaient à New York sans manquer de se faire tuer chaque jour. On a tellement une image violente de New York et de Los Angeles que c'est dur de réaliser que les gens peuvent y vivre.

C.N. : Oui, c'est l'image sensationnelle de l'Amérique !

Pensez-vous avoir les' mêmes racines musicales ?

C.N. : C'est vrai qu'on retrouve dans nos deux groupes beaucoup d'agressivité et de mélodies. Mes racines, c'est tout le bruit blanc américain : Aerosmith, Led Zeppelin, Black Sabbath, Black Flag, Flipper, MDC et tout le punk-rock américain.

C.S. : J'ai surtout écouté les groupes punk anglais de 1977, comme Buzzcocks, et les groupes français de la même époque. On n'avait pas tellement accès aux groupes américains parce qu'étant sur des labels indépendants, ils étaient mal distribués en France. Et les magazines de rock ne parlaient pas d'eux.

C.N. : Je me suis mis au punk-rock très tardivement : l'explosion anglaise était déjà loin derrière. Et puis Seattle était très isolée. On avait surtout accès à ce qui se faisait à San Francisco. On recevait les échos de la scène très politisée de Berkeley.

Y a-t-il eu une scène punk très tôt à Seattle et à Angers ?

C.N. : Oh oui, mais j'habitais à deux heures de là...

C.S. : A Angers, il n'y avait rien. Juste quelques personnes qui écoutaient les disques. J'ai lu plusieurs interviewes de Kurt dans lesquelles il cite les Beatles. Les aimes-tu ?

C.N. : Oh oui, bien sûr L'autre jour, je regardais la vidéo "Magical mystery tour". J'aime beaucoup leur période psychédélique.

Existe-t-il, ou existait-il un sentiment de famille dans vos scènes musicales respectives ?

C.N. : Avant, il existait une sorte de famille avec Tad, Mudhoney et les autres. C'était vraiment sympa. Il n'y avait pas de prétention ni d'exploitation possible. Tout cela est bien mort. Il y a maintenant un groupe à Seattle qui s'appelle Stony Bone Child. Ça ne vous rappelle pas Mother Love Bone ? II ont de beaux cheveux longs. Putain de pourriture merdique ! Hé Les dollars, ce sont les dollars ! Quel boulot faisais-tu avant le groupe, Christophe ?

C.S. : Moi, je n'ai jamais vraiment travaillé. Je faisais la vaisselle dans un grand restaurant. Eric a fait ce genre de boulots aussi. Thierry était étudiant et travaillait en même temps. On a vécu grâce au chômage aussi. Pierre-Yves était cuisinier.

C.N. : J'ai travaillé dans le bâtiment, comme pompier, dans les usines Boeing. J'ai été diplômé en merde A l'école, on apprend à fumer de l'herbe.

Est-ce que dans les deux groupes, les compositions viennent de la guitare ?

C.N. : Effectivement, en général, c'est Kurt qui vient avec les premiers riffs ; à part pour un morceau. Le premier jet vient rarement de moi, et lorsque c'est le cas, ça ne donne pas les meilleurs morceaux. Mais je ne considère pas mon rôle comme mineur. On travaille vraiment tous ensemble. On a réellement besoin les uns des autres.

Depuis vos premiers enregistrements, avez-vous changé de méthodes de travail en studio?

C.N. : Pour nous, ça reste assez similaire. Le dernier album, on l'a enregistré très vite. On a beaucoup répété pour cela. On voulait garder toutes les premières prises. Le studio, ça coûte cher... mille dollars par jour, pas besoin de s'y attarder.

C.S. : J'aime beaucoup votre dernier album, dont le budget n'était pas très élevé. Je ne crois pas qu'on ait besoin de beaucoup d'argent pour enregistrer des maquettes avant l'album. Je n'aime pas passer beaucoup de temps en studio, je prêtére que ça aille vite.

Christophe, tu as produit des groupes. Aimerais-tu produire Nirvana?

C.S. : C'est plus agréable d'écouter un album sans se demander à chaque instant si le son convient, s'il y a ce qu'il faut de basses et de hautes fréquences. Les soucis de la production, écouler la bande et si ce n'est pas bon, remixer, c'est assez éprouvant.

C.N. : Oui, en studio il faut vraiment se concentrer sur tous les petits détails. C'est très fatigant.

C.S. : Pour le deuxième album, vous avez tous enregistré en même temps'?

C.N. : Oui, les instruments ensemble, pois les voix de Kurt et quelques doublages de guitare.

C.S. : On essaye également de jouer tous ensemble le plus souvent possible, mais parfois on peut refaire une guitare. On tente aussi de ne pas jouer avec les casques.

C.N. : Hey, Christophe, connais-tu la musique du film "Easy rider" ? c'est vraiment un bon album avec un putain de son. Mon oncle possédait un huit pistes et je pouvais chanter par-dessus les morceaux de l'album. Et je me mettais à rire en plein milieu de l'enregistrement. Et un jour, mon père en a eu marre d'entendre ça il a pris la cassette et l'a écrasée par terre. Ton père était-il sévère ?

C.S. : Non, non.

C.N. : Mon père est croate de gros muscles, de grosses moustaches, très strict.

C.S. Il n'aimait pas le rock?

C.N. : Non. Mon frère ne se laissait pas faire : il est encore plus grand que moi. Pour faire éclater notre rage, on achetait des flingues. On pouvait en trouver pour quatre-vingt dollars. Pan Pan

Pan On peut vraiment bien s'amuser avec des flingues. On se baladait en voiture et on tirait. Dans les films, les flingues ne font pas beaucoup de bruit, mais en réalité, ça fait Bou ! Bou Bou ! C'est si fort ! Encore plus que ta batterie, Christophe. La prochaine fois, on tirera ensemble.

C.S. : Je ne m'intéresse pas vraiment aux armes. En France, on doit faire son service militaire, alors, ça te dégoûte des armes. Heureusement, je n'ai pas fait l'armée.

C.N. : C'est une bonne chose. Prendre sa douche avec une centaine d'autres gars, quelle merde C'était pareil au sport. Tirez-vous de ma douche Je faisais du basket et je détestais tous les types de mon équipe. Maintenant, j'aime bien courir ou nager, mais je déteste les sports d'équipe.

C.S. : Tu n'aimes pas le foot?

C.N. : Votre football ? Non. Et toi?

C.S. Oui. Et encore, je suis le moins passionné dans le groupe. Les trois autres en sont fous.

C.N. Je crois que c'est à cause de mon père que je n'aime pas les matchs. Le sport, c'est vraiment son truc !

C.S. : J'aime bien aller au cinéma et lire des livres. A Angers, nous avons un très bon cinéma qui passe beaucoup de films indépendants. J'aime bien y passer du temps avec ma copine et mes potes.

Quels sont les derniers films que vous ayez vus ?

C.N. En tournée, on regarde pas mal de films nuls en vidéo. J'ai regardé "Les sorcières d'Ipswitch", c'est nul J'aime surtout Martin Scorcese... et la "Dernière tentation du Christ".

C.S. Cette après-midi, on a regardé "Mean streets" en version originale. J'ai vu récemment "The snapper" de Stephen Frears qui est excellent.

C.N. : As-tu vu "El mariachi"? Et "C'est arrivé près de chez vous" ?

C.S. : Pour nous, c'est encore plus drôle parce qu'il y a l'accent belge.

C.N. A Montréal, ils ont également un accent différent du votre. Ça s'est bien passé quand vous y avez joué ?

C.S. : C'était bien mais ils n'aimaient pas beaucoup l'idée que nous soyons français et que nous chantions en anglais. Dans la partie anglaise du Canada, j'ai parfois été très mal reçu parce que j'étais français. On refusait de me servir. C'était une étrange expérience. C'est un peu comme en Belgique avec les Wallons et les Flamands qui se détestent cordialement.

C.N. Plus il y aura de frontières et plus il y aura de nationalisme, c'est assez fou !

C.S. : Mais dans le même temps, sans parler de nationalisme, c'est une bonne chose que chacun ait sa propre culture pour éviter un monde à une seule culture, où les gens mangeraient et s'habilleraient de la même façon.

C.N. C'est pourtant ce qui se passe : la culture occidentale a envahi le monde entier. Tu vas au Bengladesh et tu trouves du Coca Cola, des appareils Sony, la même merde... Le mode de vie individualiste isole les gens alors que chacun devrait construire des réseaux. Le monde entier est dévoré par la culture occidentale l'exploitation capitaliste, la consommation. C'est une culture ça?

Les Thugs ont d'ailleurs un titre sur l'influence négative de l'Occident, "Dirty white race". Que pensez-vous des textes de vos groupes respectifs ?

C.N. : Je suis satisfait des textes de Kurt. Je les trouve très poétiques. J'y trouve certaines significations qui ne sont pas forcément les mêmes pour tout le monde.

C.S. Les textes sont certainement la chose dont je suis le moins satisfait, surtout les miens. C'est une situation délicate car nous écrivons nos textes en anglais et je ne parle pas parfaitement anglais. Pour moi, nous avons plutôt des textes parce que nous aimons le chant, La musique vient d'abord et après il faut écrire les textes. C'est contrariant parfois.

Revenons aux problèmes de frontières : Chris. tu es d'origine croate. Je suppose que le conflit de l'ex-Yougoslavie t'affecte particulièrement.

C.N. : Oui, bien sûr. Voilà comment je vois les choses. L'Ouest domine totalement le monde, et la politique de l'ouest est dictée par l'économie. La morale n'a plus rien à voir là-dedans. Personnellement, c'est plutôt la morale qui guide mes actes. Le meurtre de milliers de personnes n'a aucune espèce de conséquence. Tous les pays de l'ouest négocient avec des criminels de guère. Deux cent mille personnes sont mortes ; quelqu'un est responsable de tout cela. C'est d'une grossièreté insultante. Je pourrais en parler indéfiniment, je ne pense pas que tu aurais assez de cassettes. Je résumerai tout cela en disant que l'économie se bat contre la morale. Les gens continuent à soutenir un monstre. Je pense que la plupart sont des cons très facilement manipulables. Tu vas dans l'ex-Allemagne de l'Est, et tu trouves des skinheads, tu vas aux Etats-Unis et tu trouves des putains de chrétiens, des foutus Républicains. Je leur dis d'aller tous se faire foutre.

Les Thugs ont tourné en Europe de l'Est, n'est-ce pas ?

C.S. Seulement en Yougoslavie, avant la guerre. Les différences avec l'Ouest n'étaient pas notables parce que c'était un pays assez ouvert, si l'on compare au reste de l'Europe de l'Est. Cette guerre est d'autant plus triste que nous avion rencontré des gens très sympathiques là-bas.

C.N. : C'est une bande d'extrémistes qui ont foutu le merdier. Il faut que les gens se débarrassent d'eux.

C.S. : La solution est peut-être entre les mains des femmes.

C.N. : Je ne sais pas... quand tu vois Margaret Thatcher !

C.S. : Un chanteur français, Renaud, a écrit un texte où il déclare son amour pour les femmes et le refrain c'est "à part peut-être Madame Thatcher".

Préfèrerais-tu parfois jouer dans un groupe moins connu comme les Thugs?

C.N. Bien sûr Ca n'aurait pas d'importance. L'important ce sont les émotions, prendre du bon temps.

Et toi, Christophe, te verrais-tu dans un groupe comme Nirvana?

C.S. : Je ne sais pas. Je sais que nous nous satisfaisons du niveau de popularité où nous sommes. J'arrive à en vivre; Pour moi c'est comme si j'étais payé à ne rien faire et c'est ce dont je rêvais. Alors je me fous du reste. Toi Chris, Tu dois parfois faire face à pas mal de trucs. Ça ne doit pas toujours être facile.

C.N. : C'est même parfois insupportable

C.S. : Je pense d'ailleurs que vous vous en sortez plutôt bien de toute cette pression. Par exemple pour nous en tant que première partie du concert de ce soir, ça s'est très bien passé. Votre équipe été très sympa avec nous. Avec la sono, ça s'est très bien déroulé, alors que la plupart du temps les premières parties des gros groupes n'ont droit qu'à la moitié de la puissance de la sono, pas de lumières et on vous traite comme de la merde.

C.N. : Je sais tout cela. On a fait pas mal de premières parties et maintenant on se retrouve dans une position de force, mais on ne va pas réagir comme cela. On ne joue qu'avec des groupes qu'on aime. On se fout de la stratégie des maisons de disques, on choisit les groupes et on que ça se passe bien pour eux parce qu'ils font partie de notre show.

Quand un groupe devient plus populaire, le prix de ses concerts augmente. Avez-vous parfois l'impression que certaines choses vous échappent ?

C.N. : Tout est relatif ; je ne trouve pas nos prix de concerts très élevés. Je ne sais pas trop pour l'Europe, mais aux Etats-Unis, les gros concerts sont à 30 ou 35 dollars alors que les noires sont à 18 ou 20 dollars. Mais tu te rends vite compte que les gens ont beaucoup d'argent à dépenser quand tu vois le nombre de T-shirts vendus à chaque concert. Notre management vient de la même école que nous. Je crois qu'on garde encore le contrôle. Parfois en tournée, nous avons eu des road managers que nous avons du virer parce qu'ils étaient habitués aux vieux groupes de rock et qu'on ne pouvait s'entendre sur certains points. C.S. : Le bon côté des choses pour nous, c'est qu'au niveau où nous en sommes, nous avons un contrôle très large. Notre manager partage notre point de vue.

Vos deux groupes se sont retrouvés sur Sub Pop. Etes-vous satisfaits de votre expérience avec le label ?

C.N. : Oooooooh ! Que devrais-je répondre ? Sub Pop est un bon label. Ils étaient là au début, à aider les groupes locaux. La scène de Seattle et Sub Pop ont marché main dans la main.

C.S. : Notre situation est certainement très différente car nous sommes un groupe français.

C.N. : On avait des problèmes pour être payés. Pas vous'?

C.S. : Je ne sais pas, mais je ne crois pas que nous avions sorti un album chez eux en 1989. Si ça c'était mal passé, on ne recommencerait pas maintenant. En tout cas, j'apprécie les gens du label et j'aime leur attitude. Par exemple, ils se sont fait beaucoup d'argent grâce à Nirvana. Et ils ont remisé cet argent sur de nouveaux groupes. Ils n'ont pas essayé de devenir une petite major et de signer de gros groupes.

C.N. : Oui, maintenant, il y a Sebadoh, Mark Lanegan. C'est toujours un bon label de vinyles, et ce sont des gens intéressants.

Vous souvenez-vous de votre premier concert à Paris?

C.N. : Oui, c'était en première partie de Tad en 1989. Thierry et Eric des Thugs étaient d'ailleurs là.

C.S. Nous, c'était en banlieue en 1984. Nous avons dû jouer devant une vingtaine de personnes mais c'est finalement un excellent souvenir parce que nous avons rencontré les gens de Gougnaf Mouvement, notre premier label, et nous nous sommes amusés pendant trois jours.

C.N. : Je me rappelle que nous avons fait un concert à Seattle en 1988 devant personne.

C.S. Allez-vous garder Pat Smear?

C.N. : Je ne sais pas. L'important, au point où nous en étions, c'était de casser une formule. Dernièrement, on a composé quelques ébauches. On s'oriente vers des morceaux à structure très simple sur lesquels on ajoute des instruments différents. On cherche une nouvelle approche avec de la guitare acoustique, de l'harmonium. J'en ai assez des groupes similaires. J'écoute de plus en plus de musiques des quatre coins du monde, orientale, africaine, slave. J'en ai un peu assez du rock'n'roll. J'ai commencé à en écouter lorsque j'avais dix ans, avec tous mes posters dans ma chambre. Maintenant, c'est la musique au sens large que j'aime.

C.S. : Il nous est déjà arrivé de rajouter des instruments. J'aime beaucoup la musique des pays d'Europe de l'Est et la musique arabe. Mais au niveau du groupe, nous restons plutôt attachés aux guitares et à la distorsion.

C.N. II y a beaucoup de terrains à explorer dans cette voix. Avez-vous écouté le nouveau Sonic Youth ? Il est excellent avec des instruments de rock classiques. Kim et Thurston viennent d'avoir un bébé sonique !

Comment vous voyez-vous dans cinq ans?

C.N. : Je me vois bien en dictateur fasciste, imposant ma propre religion sur toits les Etats Unis, contrôlant totalement les médias. Les guitares seraient gratuites. Ceux qui chercheraient à en vendre, je les tuerais...

C.S. Si le groupe est toujours excitant, on continuera. Sinon, je passerai à autre chose. Je n'ai jamais eu l'idée de me pencher sur mon futur. Chris, est-ce que tu aimes "Beavies & Butthead" ?

C.N. : Je ne sais pas. J'ai l'impression de trop connaître cela, les stupides. Adolescent, je connaissais un type qui rigolait bizarrement, "heu heu heu heu heu". L'homme-mitraillette, on l'appellait ! "Beavies & Butthead" ? On a compris la bonne blague je crois.

Connais-tu un comic-book intitulé "White trash" ?

C.N. : Du "White trash", on en a partout autour de nous aux Etats-Unis ! Blancs, d'origines modestes, peu éduqués, américains. Il y a longtemps, avec celle qui allait devenir ma femme, on avait un appartement pour cent dollars, trois voitures. On ne prenait pas d'assurance, on ne les faisait pas réviser. Des tas de télés dans l'appart ! Tout ça ne coûtait rien. Les gens regardent "Santa Barbara" à la télévision et se mettent à rêver. C'est ça le "white trash" américain une culture jetable !

© Phillippe Roizes, 1994