LIVE NIRVANA INTERVIEW ARCHIVE August 10, 1993 - Seattle, WA, US
Personnel
- Interviewer(s)
- Emmanuel Tellier
- Interviewee(s)
- Kurt Cobain
- Krist Novoselic
- Dave Grohl
Sources
Publisher | Title | Transcript |
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Les Inrockuptibles | L'enfer c'est les autres... | Yes (Français) |
Spex | Careers In Rock | Yes (Deutsch) |
Le Nouveau Quotidien | Nirvana, le grand mechant rock qui se rêvait petit | Yes (Français) |
Transcript
Depuis deux ans, Nirvana n'existait plus que dans les journaux. Tout juste maintenu en vie par une industrie trop heureuse d'avoir trouvé là la tête de pont d'un genre "porteur", le groupe sillonnait la terre sans conviction, luttant bec et ongles pour préserver une intégrité menacée de toutes parts. Aux spéculations et attaques, le groupe acculé répondait par un silence hagard, trop occupé à soigner les plaies intimes de sa gloire. Entre Nevermind et In Utero, rien. Pas un mot d'explication, pas le moindre signe d'introspection. Au printemps, enfin seul, le groupe s'enferme en studio. Très vite, tout sera écrit sur l'album annoncé - tour à tour corrompu, suicidaire et révolutionnaire. En juillet, les premières copies du "disque le plus attendu de la décennie" circulent enfin. C'est un disque de punk-rock, cri franc et radical d'un groupe de punk-rock. Ni corrompu, ni suicidaire, ni révolutionnaire. Pour Kurt Cobain, c'est le bout du tunnel, après le chaos Nevermind. Regonflée, l'anti-star souhaite parler, mais les règles du jeu ont changé: c'est désormais le groupe qui choisit ses interlocuteurs. Mardi 10 août, à Seattle. Le Cobain qui entre dans la chambre de l'Edgewater Hotel n'a rien de l'individu paranoïaque régulièrement caricaturé. C'est un garçon fébrile, manifestement usé, qui demande poliment s'il peut ouvrir la fenêtre. Deux ans après une première rencontre dans un petit hôtel de Pigalle, il prend le temps de revenir, d'une voix à la gravité troublante, sur le destin singulier de son "groupe de losers".
Kurt Cobain: Nos fans les plus radicaux ont du mal à l'admettre, il faut pourtant qu'ils s'y fassent: je suis un admirateur des Beatles. Je ne connais rien de plus beau que leurs chansons... Il y a quelques années, j'étais obsédé par l'idée d'écrire la chanson pop parfaite. Alors, je jouais toute la journée, sur mon lit. Pendant huit ou dix heures d'affilée. Le soir, je m'endormais avec ma guitare dans les bras, épuisé... Depuis que tout nous est tombé sur la tête, je prends moins naturellement ma guitare. Je suis plus économe, ou mieux organisé. A l'époque, la guitare bouffait mon temps et mon énergie. Physiquement et mentalement, tout passait dans la musique, je vieillissais à vue d'oeil (sourire)... Je voulais créer, créer, créer. Je n'avais plus le temps de sortir, de rencontrer des gens. Ma vie sociale était devenue un désastre... Maintenant, j'attends le bon moment. Ca peut durer deux ou trois mois, le vide complet, rien. Mais je sais patienter. Inconsciemment, les chansons se forment dans ma tête. J'entends des mélodies, que je perds aussitôt, mais qui réapparaîtront un jour. Elles sont en mémoire, quelque part. Je suis beaucoup plus détendu depuis que j'ai pris conscience de cette faculté qu'a mon cerveau de stocker les émotions, les ambiances. Je ne suis pas obligé d'écrire tous les jours. Je peux enfin faire autre chose.
L'écriture a-t-elle déjà été en péril?
Kurt: Je n'ai jamais connu de véritable blocage. Par contre, il m'est arrivé une mésaventure terrible, alors que nous partions une fois de plus en tournée. J'avais écrit une dizaine de chansons, compilées sur une cassette. Le matin du départ, j'ai placé cette bande dans la caisse d'une de mes guitares préférées, que j'ai cachée dans la douche, pensant qu'un cambrioleur éventuel n'irait jamais regarder à cet endroit de ma maison. A mon retour, j'avais un mot sur ma porte: mon voisin du dessus s'excusait pour les dégâts des eaux occasionnés par sa baignoire. Là, j'ai vraiment eu la trouille. Nous devions enregistrer trois mois plus tard et je n'avais plus rien... Psychologiquement, j'ai connu ma période la plus misérable après l'affaire Vanity Fair et toutes les attaques contre Courtney, ma femme - Courtney Love, chanteuse du groupe Hole, était accusée de se droguer pendant sa grossesse. Je n'avais plus la force de prendre ma guitare. J'avais trop à faire, trop de sentiments à gérer, les miens, ceux de Courtney. Nous venions d'avoir un bébé et des gens terribles voulaient nous le retirer. Pendant quelques mois, la musique n'a plus compté pour moi.
Musicalement, existe-t-il un certain esprit de compétition entre Courtney et toi?
Kurt: Je parlerais plutôt d'ambiance favorable, pas du tout compétitive. Chez nous, la musique est omniprésente. Hier encore, j'écoutais de nouveaux enregistrements de Courtney et de Hole, certaines chansons sont vraiment fantastiques. J'aimerais tant les avoir écrites... C'est une motivation pour moi, qui suis tellement paresseux. Courtney, elle, écrit en permanence. Moi, j'ai perdu mon ambition. Je ne veux plus écrire quotidiennement, y passer ma vie. J'ai trouvé des tas d'autres choses: je m'occupe de ma famille, de mon bébé. Je peins. J'écris. Et je lis énormément. Mais je lis trop de merde, je devrais peut-être en rester à Burroughs.
Comment vois-tu l'avenir du groupe?
Kurt: Je ne peux voir qu'une année à l'avance. Ce serait absurde de prétendre planifier, de s'engager sur l'avenir. J'ai toujours pensé que Nirvana s'arrêterait au bon moment. Nous ne nous engageons sur rien pour pouvoir détruire le groupe si nous perdons la foi. Il n'y aura jamais de mauvais album de Nirvana. Nous tuerons le groupe avant... Nous sortirons peut-être des choses expérimentales, des disques difficiles à appréhender pour le grand public, mais seulement si cette musique a une véritable valeur à nos yeux.
In Utero à peine fini, as-tu déjà envie d'un nouvel album?
Kurt: J'ai envie d'y retourner très vite, j'ai déjà quelques chansons. Nous voulons opérer de profonds changements dans notre son, essayer autre chose. Je crois que nous passerons plus de temps en studio, que nous utiliserons la technique de manière très différente. J'ai envie de superposer des dizaines de sons différents, des couches de guitares, des samplers. J'ai envie d'utiliser ce matériel, d'échantillonner des sons, d'inventer quelque chose de neuf.
Pourquoi ne pas l'avoir fait plus tôt?
Kurt: Nous n'en avions pas besoin. Nous voulions pousser le punk-rock encore plus loin, aller au bout de cette voie. Maintenant, j'aurais trop peur de me répéter. Je suis un peu fatigué par ces sons, par cette hargne. Nous pourrions parfaitement enregistrer un disque grunge de plus, avec des chansons aussi bonnes que celles d'In Utero, mais ce ne serait pas sincère. Cette formule ne nous excite plus. Il est grand temps de passer à autre chose. Dans dix ans, je m'imagine très bien à la maison, avec ma femme et mes enfants. Ils suffisent amplement à mon bonheur. Mais la musique sera toujours là, peut-être comme un loisir. Il y aura sans doute un autre groupe, diamétralement opposé à Nirvana. Chris et Dave en feront peut-être partie, je ne sais pas. Ou bien je jouerai seul. J'ai une admiration sans bornes pour Neil Young, sa carrière est exemplaire. Il a tout fait, tout essayé. Il n'a jamais donné aux gens ce qu'ils attendaient. J'aimerais vieillir comme lui... Je voudrais être considéré comme un songwriter, pas juste comme le leader de Nirvana. Il est si facile de nous imaginer bêtes et méchants, le nez dans notre musique grunge. Mais les gens ne savent pas. J'ai beaucoup d'autres choses en moi... Sont-ils prêts à m'écouter? Le temps nous le dira. Il y a un mois, à New-York, nous avons terminé notre show par quelques morceaux acoustiques, accompagnés par un violoncelle. Et les gens n'ont rien compris. Ils se sont mis à parler entre eux. Leur manque de respect m'a blessé.
Si tu avais la possibilité de retravailler l'histoire, quelle partie changerais-tu?
Kurt: Je crois que je serais allé à l'école des rock-stars. J'aurais passé mon bac de chanteur à succès, pour apprendre. Pour m'habituer aux réalités de cet univers, tellement différent de ce que je m'imaginais lorsque j'habitais à Aberdeen. Et puis j'aurais enregistré In Utero avant Nevermind, pour avancer progressivement. Nous aurions eu plus de temps, le choc aurait été moins brutal. Pour tout le monde.
Tu penses donc qu'In Utero vendra moins que Nevermind?
Kurt: C'est fatal.
Et tu t'es préparé à cette éventualité?
Kurt: (Sourire)... Je prie pour que cela arrive, pour retrouver notre véritable place. Cela fait deux ans que j'implore le ciel pour cela. Je suis persuadé que ce disque vendra moins que Nevermind. Comment pourrait-il en être autrement? Certains prendront peut-être cela pour un échec, mais nous, nous n'en souffrirons absolument pas. Bien au contraire, ce sera pour nous une forme de réussite. Peut-être notre plus grande réussite.
Chris: Lorsque j'ai rencontré Kurt à Aberdeen, sur la côte, c'était plutôt un mec marrant, très cool. Il aimait les meilleurs groupes underground, c'était un fou de punk-rock. Il passait son temps entre ses disques et sa planche à dessin. Il réalisait des petits dessins animés, fantastiques. Je le croyais destiné à un job de dessinateur, je ne l'imaginais vraiment pas rock-star... L'alcool nous a rapprochés. Il aimait le vin et la bière autant que moi. Nous passions des soirées interminables au bar à parler de musique. Aberdeen est une saloperie de petite ville, perdue sur le Pacifique, à plus de 100 kilomètres de Seattle. C'est un trou, il n'y a que des bars remplis de gros bourrins, des bûcherons, des pêcheurs industriels. Imagine un coin paumé, une sorte de Twin Peaks sans Laura Palmer. C'est ça, Aberdeen. A l'origine, la ville n'était qu'un bordel. Il y avait là une dizaine de putes qui vendaient leur corps aux marins en route pour l'Alaska. Et puis, certaines prostituées sont tombées enceintes et n'ont pas eu le courage de repartir. Aberdeen était née.
A qui revient la paternité du groupe?
Chris: Kurt jouait avec Dale, le batteur des Melvins. Ensemble, ils avaient enregistré deux chansons assez incroyables, alors je n'ai pas hésité. Nous avons eu toutes sortes de noms absurdes: Ted and Fred, Fecal Matter. Nous prenions déjà le groupe très au sérieux. Nous voulions tourner, jouer sur toute la côte. J'étais fou de joie lorsque j'ai pu quitter mon boulot minable de peintre industriel pour jouer du rock. Nous partions sur la route! Moi, je réalisais mon vieux fantasme: rencontrer des gens, me marrer, me coucher tard, boire de la bière, voilà tout ce qui m'intéressait. Je n'avais plus à me lever à 6 heures pour aller à l'usine. Fini la peinture! Fini les inhalations nocives! Le boulot était dur mais payait bien. J'avais une vieille bagnole, une vieille télé, une vieille chaîne stéréo. Je n'avais pas à me plaindre. Et puis surtout, j'avais un groupe. En quittant le chantier, je partais voir Kurt, surexcité. Au boulot, je passais mon temps à chanter "My day will come".
Au tout début, étiez-vous confiants?
Chris: Absolument pas, mais je m'en foutais. Je me sentais comme un vagabond. Quelqu'un était passé près de moi en voiture, avait ouvert la porte de la bagnole et moi, j'étais monté, pour voir (sourire)... Nous nous sentions libres. Nous étions tellement heureux de pouvoir jouer que les considérations matérielles ne nous affectaient pas. Kurt et moi voulions donner un concert à Seattle, c'était notre rêve absolu. Nous étions prêts à payer pour ça, prêts à dormir dans la rue. L'idée de succès nous était totalement étrangère. Un disque? Je m'en foutais. Kurt, lui, y songeait déjà.
Kurt: Disons que j'avais besoin de me sentir rassuré. Un petit 45 tours de vinyle, c'est tout ce que je demandais. J'avais envie de tenir cette chose dans mes mains, d'entendre notre musique dans une paire de haut-parleurs. Assez vite, les gens sont venus nous voir jouer, à Aberdeen ou Olympia, cette ville un peu moins déprimante où nous nous étions installés. Il n'y avait peut-être que soixante personnes dans la salle, mais ça me convenait parfaitement. J'étais rassuré. J'ai toujours considéré qu'il était plus difficile d'obtenir ses soixante premiers fans que de passer d'un coup en tête des charts. Nos chiffres de ventes actuels me laissent indifférent, j'ai seulement besoin d'une soixantaine de fans, de gens qui me comprennent. Lorsque le groupe a été applaudi pour la toute première fois, par nos cinq copains du premier rang, j'avais fait le plus dur. J'avais accepté cette idée un peu étrange d'être devenu un musicien.
Comment les gens de Seattle se comportent-ils avec vous? Font-ils preuve d'une certaine fierté de vous avoir?
Dave: Ils sont plutôt gentils, mais au fond je suis persuadé que les habitants de Seattle ont honte du groupe. Ils nous considèrent comme une tare pour la communauté, pas comme un monument local. Depuis que nous sommes connus, les journaux ne parlent plus que de Seattle et du "grand mouvement grunge". Dans le monde entier, la ville est associée à cette image faussée de repère louche pour chevelus. Ce qui ne ravit personne ici. Cette légende de ville rock, c'est vraiment des conneries de journalistes, ceux qui restent ici pendant une semaine pour "chercher le grunge". Tu as vu Seattle, c'est une chouette ville, pas un taudis (sourire)... Le plus déprimant dans cette histoire de surmédiatisation, c'est que la scène musicale n'a pas su profiter de l'attention que Nirvana a attirée. Auparavant, sur dix groupes locaux, trois seulement étaient véritablement minables, les autres plutôt bons. Maintenant, neuf groupes sur dix se foutent du monde. Tous les ringards de la Côte Est sont venus s'installer à Seattle et les vieux de la région ont peur que la ville ne devienne une nouvelle Los Angeles, que le boom musical ne provoque une sorte de ruée néfaste pour la région. Il y a quelques années, le journal Money Magazine a élu Seattle "ville la plus agréable de tout le pays": pas de problème de circulation, pas de pollution, un nombre d'habitants raisonnable, une région merveilleuse, une industrie très performante avec d'énormes sociétés, comme Boeing et Microsoft. Un vrai petit paradis américain. Alors, les gens ont commencé à venir s'intaller ici. On pouvait trouver un bon job facilement et acheter une maison à très bon marché. Et puis le rock est arrivé.
Quel a été l'impact concret de votre succès sur la ville? Existe-t-il plus de clubs, de labels?
Dave: Le seul changement sensible, c'est le nombre de gens dans ces clubs et le nombre de disques produits par les labels. Lorsque je suis venu m'installer à Seattle, en 90, je connaissais tout le monde après quelques heures. En deux soirées, Kurt et Chris m'avaient présenté le "cercle" du label Sub Pop, une quinzaine de personnes au maximum. C'était ça, Seattle, quelques potes assis autour d'une table, dans un bar. L'ambiance était excellente, très amicale, très universitaire. Aujourd'hui, je ne connais plus personne. Je rencontre tous les jours des types qui disent appartenir à la "Famille", mais que je n'avais jamais vus auparavant. Dans les concerts underground, on croise souvent des artistes rock reconnus, des groupes célèbres qui sont de passage dans le coin. Ils viennent voir ce qui se passe dans les clubs, veulent boire un coup avec nous. Mais tout ça est plutôt sain, finalement. Il y a toujours des tas de gamins dans les concerts, des ptits mecs qui arrivent en ville avec leur guitare pour "réussir". J'en ai croisé un dans la rue la semaine dernière. Il arrivait du Minnesota et s'est précipité sur moi: "Mes copains n'ont pas voulu venir avec moi à Seattle. Ils disaient que vous aviez quitté la ville, que vous habitiez dans les montagnes, qu'il ne se passait plus rien à Seattle. Je dois absolument téléphoner à mes potes pour leur dire de venir ici. Cette ville est géniale!" (rires)... Mais pour Kurt, c'est beaucoup plus dur. Pour lui, tout est différent, extrême. Pour moi, la vie est simple et belle: je me marie dans quelques jours, j'ai une nouvelle maison et assez d'argent pour mourir tranquille. Pourtant, tout ça est très récent. Jusqu'à l'année dernière, je ne connaissais aucun confort. Lorsque Nevermind a explosé, j'habitais dans une pièce minuscule, un vrai placard. J'avais un lit et une lampe, c'est tout.
Que pensais-tu du groupe en débarquant, avant de te joindre à lui?
Dave: Ils étaient assez bons, mais sans génie (sourire)... Moi, je venais de quitter mes meilleurs copains, le groupe Scream avec qui j'avais passé quatre années. Soudain, je devais vivre à l'autre bout du continent et travailler avec ces deux inconnus qui m'avaient contacté au téléphone pour m'engager. Alors, j'ai décidé de m'y mettre à fond. Je voulais les impressionner, taper de toutes mes forces. Ca a tout de suite collé entre nous. A 15 ans, j'avais joué dans un groupe à la structure identique, trois musiciens, avec un guitariste chanteur. Notre musique ressemblait à celle de Nirvana, des chansons pop jouées à fond. A l'époque, chacune de nos répétitions débutait par un long fracas instrumental, un immense boucan, chacun cognant dans son coin. Ensuite, on se mettait à jouer vraiment... Lors de la première répétition avec Nirvana, nous avons commencé par le même exercice, une demi-heure de raffut. Nous n'avons jamais abandonné cette méthode, elle nous convient parfaitement. On cogne, on rigole, on voit si la rage est en nous. Je crois que nous sommes tous les trois anormalement sensibles au bruit et à la simplicité. On peut passer de très longues minutes ainsi, suspendus à un putain de son, simple, droit. C'est l'une de nos grandes forces, nous savons rester simples et puissants. La plus belle arme du groupe, c'est sa spontanéité. Si nous avons envie de hurler, d'expérimenter, rien ne nous retient. Les concerts se terminent souvent par du bruit blanc. Un jour, ce vacarme n'a peut-être aucun sens, le groupe fait semblant. Mais le lendemain, tout prend un sens. Soudain, le bruit nous aspire, les instruments sont libres, chacun explose dans son coin. C'est ce moment-là qui compte. C'est pour cet instant-là, pour cette ivresse que nous jouons aussi fort que possible.
Chris: Attention: rien n'est calculé. Ce groupe relève de l'inconscient. Nous n'allons pas en répétition pour composer, nous jouons ensemble pour expérimenter. La structure classique "couplet-refrain-couplet" ne nous intéresse pas. Pour nous, c'est une blague. Nous voulions d'ailleurs intituler notre nouvel album Verse-chorus-verse pour cracher dans la soupe pop. Nous n'avons pas besoin de ce genre de vieilles recettes.
Dave: La structure d'un morceau de punk-rock, c'est une question de dynamique, pas d'écriture. C'est la chanson qui dicte les changements, pas un musicien isolé. Et c'est dans ce domaine précis de la dynamique que j'ai le plus apporté à Nirvana. Auparavant, le groupe se contentait de cogner, de manière linéaire. J'ai appris à Chris et à Kurt à creuser les chansons, à apprivoiser le son, pour mieux rebondir. Maintenant, nous savons être extrêmes dans deux directions: la douceur et le bruit.
Comment s'organise le travail dans le groupe? Qui prend les décisions matérielles?
Dave: Les petites décisions quotidiennes nous échappent. Ce sont des gens qui décident pour nous. Où répéter? Quels techniciens employer pendant une tournée? Où recevoir les journalistes? Ces choix là ne nous appartiennent plus. Kurt aimerait contrôler toutes ces choses, mais ce n'est plus possible. Il s'occupe déjà de l'artwork, pochettes de disques, affiches, visuels, c'est son territoire. Pour les dates de concerts, les villes où nous souhaitons jouer ou ne pas jouer, tout le monde donne son avis. Le plus souvent, cela se résume à un misérable "bof... pourquoi pas?". Nous sommes tellement fainéants et stupides que les décisions se terminent toujours par une succession de soupirs. "Les gars, vous voulez jouer à New-York pour le New Music Seminar?" "Ben, si Chris et Kurt sont pour, moi je n'ai rien contre!" (rires)... Dans le groupe, le "je m'en fous" est très populaire.
Vous ne faites donc jamais bloc contre une proposition?
Dave: Si, bien sûr. Lorsqu'on se moque de nous, la réponse peut être très violente. Il y a quelques semaines, notre maison de disques voulait nous faire jouer un concert privé, devant deux cents trous du cul du show-business. Dans ce genre de situation, le groupe fait front: "Allez vous faire enculer!"
Qui sont les gens influents?
Dave: Notre manager est un véritable ami, fan de punk-rock. Ce n'est pas un de ces gros lards qui ne parlent que de cul et de pognon, c'est un type comme nous. Les autres personnes de confiance, je les compte sur les doigts de ma main: ma fiancée, deux potes, ma mère. Je n'ai rien contre les gens de notre maison de disques, Geffen. Certains sont très cools. On peut boire un coup ensemble, mais c'est tout.
Chris: Il y a encore deux ans, tout était simple. On chargeait notre matériel dans le van et on se tapait des heures de route. Arrivée au club, concert, nuit à l'hôtel ou sous la tente, parfois à la belle étoile, dans les bois. C'était souvent dur physiquement, mais je regrette cette période, car on se marrait beaucoup plus qu'aujourd'hui. On se foutait bien d'être surpris en slip autour d'un feu de camp, en pleine nuit, dans un champ du Tennessee, car personne ne nous connaissait. Aujourd'hui, ce genre de connerie finirait dans tous les journaux.
Kurt: Nous avons retrouvé cet esprit d'insouciance la semaine dernière, à l'occasion d'un concert secret, à Seattle. L'affiche annonçait Tad, avec "special guests". Les invités, c'était nous. C'était tellement mieux que de se pointer dans un stade, cinq minutes avant le concert, avec tous ces gens qui braillent.
Chris: La salle était bourrée, comme à chaque concert local annonçant des "special guests"! Les gens de Seattle s'attendent toujours à nous voir débarquer. Du coup, tous les promoteurs locaux annoncent des "special guests" sur leurs affiches, à chaque concert (rires)... Ce qui est franchement moins marrant, c'est que ce concert était dédié à l'une de nos copines, la chanteuse des Gits, retrouvée morte sur l'autoroute, après avoir été violée et battue à mort. L'argent récolté pendant cette soirée servira à retrouver l'enculé qui a fait le coup.
Dave: Lorsqu'on parle aux gens du business, Kurt, Chris et moi savons exactement comment nous comporter. Nous sommes tous les trois d'un naturel très méfiant.
Où situez-vous la limite entre la méfiance et la paranoïa?
Dave: Il se passe tellement de choses autour du groupe! Moi, j'ai du mal à suivre, alors je m'écarte volontairement. Je laisse toute cette merde aux autres. Je n'ai jamais voulu avoir de fax chez moi. Ce serait la fin de ma liberté. Je suis trop sensible, trop fragile, pour me laisser embarquer dans ces histoires... Chris aime être informé. Quant à Kurt, il en a physiquement besoin. Si son fax tombe en panne, il devient fou. Il a tellement peur de se faire baiser!
Qui souffre le plus des pressions permanentes?
Dave: C'est Kurt, sans hésiter. Chaque rapport à l'industrie du disque est une souffrance pour Kurt. Mais tout le monde en bave. Nous avons tous songé à quitter le groupe. Aucun de nous trois n'était prédisposé à devenir une rock-star. C'est dommage, car si nous étions de vrais enculés de rock-stars, on se foutrait royalement de toutes ces saloperies. Les vraies rock-stars font des clips avec des nanas qui montrent leurs gros nichons. Les vraies rock-stars peuvent tout se permettre, même d'insulter les femmes dans leurs vidéos. Les putains de stars vivent dans un autre monde. Tous ces énormes groupes de hard minables se fichent bien de la condition féminine, du respect des autres. Moi, je n'ai jamais voulu être une grosse star à la con.
Ces angoisses sur votre condition ont-elles affecté les rapports intimes du groupe?
Dave: Je n'ai jamais été dégoûté par Chris et Kurt (sourire)... Par contre, je suis parfois dégoûté par Nirvana, par cette bête, cette machine qu'est devenu notre groupe, contre notre gré. Le groupe est devenu beaucoup plus que trois copains: un putain de phénomène. Et ça, je n'arrive pas à le comprendre... Les choses sont devenues complètement folles sans que nous ayons eu le temps de nous adapter. Nous partons en tournée, et là, bang, le ciel nous tombe sur la tête. Tout le monde veut nous rencontrer, savoir qui nous sommes, quel est notre plat préféré, et la radio se met à vomir notre musique en continue. Après huit mois de ce bordel, je n'en pouvais plus. Je n'avais plus envie de parler du groupe, de cette saloperie de Smells Like Teen Spirit. Mais le plus dur, c'est que je suis contraint d'accepter tout ça. C'est ma vie. Quand j'aurais 50 ans, on parlera toujours de moi comme du batteur de Nirvana. Pourtant, je n'ai pas envie d'être le batteur de Nirvana toute ma vie.
Comment vois-tu ton avenir?
Dave: Je veux retourner à la fac. Etre un bon mari, avoir des enfants. Etre un bon père.
Et le groupe?
Dave: Nous ne planifions rien. Il y aura sans doute un autre album de Nirvana et après, on verra bien. Aussi longtemps que nous vivrons tous les trois à Seattle, je crois que le groupe existera. Nous n'aurons peut-être plus de contrat, nous ne serons plus le méga-groupe que tout le monde connaît, mais nous jouerons pour notre plaisir, parce que nous sommes trois amis qui s'entendent parfaitement bien musicalement. Mais nous fonctionnons déjà de la sorte. Lorsque nous nous retrouvons pour jouer, nous oublions tout le reste. La merde reste à la porte du studio de répétition. Et si tout retombait demain, si Nirvana n'existait plus que pour Chris, Kurt et moi, je me sentirais beaucoup plus libre qu'aujourd'hui. La vie serait plus simple. On pourrait jouer dans le petit club, au coin de la rue. Il y aurait cinquante personnes, ce serait bien.
Le groupe est-il un sujet de discussion quotidienne?
Chris: Comment s'en échapper? Nous tentons de comprendre ce qui se passe autour de nous, la manière dont le public nous perçoit aujourd'hui. Pourquoi nous? Avons-nous été particulièrement chanceux? Pour nous, Nevermind était un bon disque, bien meilleur que tous ceux qui sortaient à l'époque. Mais de là à en vendre dix millions... Nous parlons aussi de l'industrie du disque. De l'effet que Nevermind a eu sur ce business. En sommes-nous les complices? Ou sommes-nous des résistants de l'intérieur?
Kurt: Nous sommes comme ces tribus africaines coupées du monde. En Afrique, il y a encore des peuples qui ne savent pas ce qu'est la guerre. Il existe en particulier une tribu où le sexe n'a aucune valeur. Les hommes et les femmes remplissent les mêmes tâches, d'instinct. Les hommes et les femmes pêchent, les hommes et les femmes s'occupent des enfants. Tout est partagé, discuté. Si Nirvana était une tribu, nous serions certainement comme ces gens, unis, égaux, libres. Il n'y a jamais eu de problème entre nous.
Après Nevermind, avez-vous songé à tuer le groupe en pleine gloire? A incarner ce fantasme rock du "vivre vite et mourir jeune"?
Dave: Nous aurions alors préservé l'essentiel, la musique. Toute la merde qui plane autour de nous se serait envolée! Les gens n'auraient retenu que les chansons. C'est une idée très excitante, mais dont l'amour de la musique nous a préservés. Dès la sortie de Nevermind, nous pensions au disque suivant. En assassinant le groupe, nous en aurions fait une légende. Certains disent que Nevermind a changé la face du rock. Comment trois putains de losers ont-ils pu réaliser ce genre d'exploit? Nous changeons à peine de vêtements. Comment pourrions-nous changer la face du monde?
Kurt: C'est l'amour de la musique qui me donne la force de continuer. Rien d'autre. Mais je pourrais me barrer du jour au lendemain. J'ai assez d'argent pour disparaître sans laisser de trace. Bye bye, histoire terminée. Si je reste, c'est rien que pour le punk-rock.
Chris: In Utero est venu très naturellement. Ce n'est pas un disque vengeur, de réaction. Les morceaux sont sortis d'eux-mêmes. La rage était là, bien ancrée en Kurt, dans son ventre. Il n'y avait plus qu'à laisser couler... Au départ, nous avions ce fantasme d'énorme disque de rock. Un truc qui écraserait tous les disques existants. Nous voulions surclasser Nevermind, surclasser tout le monde. Et puis, en studio de répétition, les choses se sont simplifiées. Et le disque s'est fait tout seul. Nous étions incroyablement détendus.
Dave: Nous voulions tester certains morceaux sur scène. Mais les bootleggers, ces enculés qui enregistrent les concerts pour les sortir en disque, ne nous ont pas donné cette chance. Nous avons dû jouer les mêmes morceaux pendant deux ans.
Chris: Nous voulions avancer, donner vie à nos nouvelles chansons, mais les pressions de notre management et de la maison de disques étaient trop fortes: "Ne jouez surtout pas de nouveau morceau!". Alors, les concerts sont devenus routiniers. Et si j'ai envie de routine, je reprendrai mon vieux job de peintre industriel chez Boeing. Mais pour l'instant, j'ai envie de vivre, d'avancer avec Nirvana. Nous allons sans doute atteindre notre niveau de croisière. Après un décollage un peu brutal, l'avion va se stabiliser, peinard.
Etrange destin pour un groupe de punk-rock.
Chris: Tout le monde aime le confort, non? Personne n'a envie de dormir sur une planche à clous! Moi, je préfère un bon vieux matelas en plume. Confortablement installé, tu peux plus aisément utiliser ton cerveau et tes sens. Le confort prédispose au travail.
Dave: Devenir un meilleur groupe, cela signifie aussi que nous souhaitons être plus radicaux dans nos choix. Si Kurt veut intituler une chanson Rape Me (Viole-moi), qu'il le fasse! Personne ne peut plus venir nous emmerder.
Pourquoi alors avoir changé le titre de l'album à deux reprises? Le titre original était I Hate Myself & I Wanna Die (Je me déteste et j'ai envie de mourir).
Chris: Je n'aimais pas cette phrase et je l'ai dis à Kurt: "Kurt, que ferons-nous si un môme de 12 ans se met une balle dans la tête, dans une ferme du Nebraska, après avoir écouté notre disque?" Judas Priest a connu ça, Ozzy Osbourne aussi. Tous ces groupes de gros cons irresponsables ont eu des histoires avec leurs chansons débiles. Mais nous ne sommes pas assez idiots pour ça... Je trouvais ce titre vraiment trop négatif. Trop prévisible, aussi. On a lu tellement d'âneries dans la presse: "Nirvana veut se suicider! Nirvana prépare un album suicidaire! Sans Courtney Love, Kurt Cobain se suiciderait!" Je ne voulais pas que le groupe en rajoute. L'humour est parfois mal perçu.
Dave: Regarde ce que le succès a fait de ce groupe: nous sommes tous les trois lessivés, usés par les concerts, la pression. Alors maintenant que nous sommes au top, nous voulons tout essayer, profiter de cette position qui nous en a tant fait baver. Nous avons tenu le choc, nous avons résisté. Tout le monde s'est rué sur Kurt, les salauds, les jaloux, les frustrés. Maintenant, je crois qu'on va nous foutre la paix. Humainement, nous sommes plus forts que jamais. Comme trois types qui sortiraient de deux années de musculation intensive. Regarde Kurt: il va beaucoup mieux, il s'est apaisé.
Kurt: Je suis beaucoup plus heureux aujourd'hui qu'il y a deux ans. Dans la tourmente, j'avais envie de tout plaquer. Le groupe était devenu un monstre, nous ne le contrôlions plus. Soudain, les gens que nous détestions, ceux contre qui ce groupe s'était formé, se sont mis à acheter notre disque. Les gros bras, les machos, les chauffeurs routiers aimaient Nirvana. J'étais déboussolé... Mais Chris et Dave ont su me parler. Et j'ai rencontré Courtney. J'ai trouvé une femme que j'aime profondément, ce qui me paraissait totalement impossible il y a quelques années.
Ces attaques incessantes contre Courtney et toi, contre ce symbole de "réussite punk-rock" que vous incarnez, t'ont-elles vraiment surpris?
Kurt: Je ne m'attendais pas à de telles saloperies. Le plus dur, bien sûr, ce fut l'article de Vanity Fair, une vraie vendetta contre Courtney par une espèce de mal baisée. Ecrire que notre bébé allait naître drogué, quoi de plus irresponsable? Comment peut-on ainsi détester les gens? Cette fille ne nous a jamais rencontrés, elle n'avait pas la moindre preuve de ce qu'elle avançait. J'ai vraiment eu envie de buter cette salope... Heureusement, la vie de famille m'a apporté beaucoup en sérénité. Elle m'a donné une force intérieure qui me dissuade d'aller écraser la tête des connards qui veulent notre peau. Si j'étais seul au monde, sans responsabilités envers Courtney et mon bébé, j'aurais agi autrement en de multiples occasions. Et je ne sais pas où je serais aujourd'hui.
Il a été écrit - dans Vanity Fair et ailleurs - que les drogues menaçaient l'existence du groupe.
Dave: Quelles drogues? Je n'ai touché à rien depuis quatre ans. Pas même à un misérable bout de hachisch.
Chris: Rien en quatre ans? Tu te fous de moi, ou quoi?
Dave: Je te le jure. Alors que j'étais un putain d'accro au shit. Ca finissait par me rendre très con et parano, alors j'ai tout arrêté. Je n'ai jamais rien essayé d'autre... Franchement, j'ai l'impression que les attaques de la presse au sujet de la soi-disant dépendance de Kurt lui ont fait plus de mal que les prétendues drogues elles-mêmes.
Kurt: Je comprends qu'on nous questionne là-dessus, les drogues font partie du cirque, de l'attitude rock. Mais ça reste un problème intime. Je suis le seul à connaître la vérité sur ce sujet, le seul responsable. Basta.
Le livre de Clarke et Collins, ces deux journalistes qui enquêtent sur Nirvana depuis un an, doit sortir à l'automne.
Kurt: Ce ne sont pas des journalistes. Ce sont des putains de groupies. Les gens qui achèteront ce livre vont se faire voler leur fric. J'ai lu un manuscrit du livre, c'est le plus gros paquet de merde que j'aie eu entre les mains. Mais ces deux filles peuvent légalement publier ce qu'elles veulent. Je ne peux pas lutter.
Chris: Je n'ai plus à me soucier de rien. J'ai tellement d'argent aujourd'hui... Les gens ont du mal à parler du fric, mais moi, je veux rester cool avec ça. Pourquoi cacher les choses? Lorsque je me suis acheté ma maison de Seattle, mon vieux pote m'a demandé comment j'allais rembourser le crédit. Je lui ai dit "Quel crédit? J'ai payé cash!" (rires)... Je viens aussi de m'acheter une vieille ferme complètement déglinguée, inoccupée depuis douze ans, dans le sud de l'état de Washington. J'y passe tout mon temps libre, avec ma femme. On bricole, on en a pour la vie! Je suis très bien, là bas. Je n'ai besoin de rien. J'ai réalisé tous mes rêves: j'ai une Volskwagen de 71, inusable. Je n'ai pas besoin d'une Rolls, ma vieille caisse me convient parfaitement. Je me suis acheté un juke-box et un flipper, deux de mes rêves de gosse. Voilà, c'est tout. Je suis parfaitement heureux comme ça. J'ai beaucoup d'amis, des gens que je connais depuis des années.
Kurt: Moi, j'ai le sentiment d'avoir réalisé des choses fantastiques, bien plus belles que dans mes rêves de gosse. Mince! Je suis marié, j'ai un môme. Je n'aurais jamais cru cela possible. Lorsque j'étais gamin, je m'imaginais vieillir seul, comme un con... Aujourd'hui, je veux me remettre sérieusement à la peinture. J'ai envie d'essayer d'autres choses que le punk-rock. J'étais très excité par ce projet de 45 tours avec William Burroughs, que j'admire plus que n'importe qui. Malheureusement, nous ne nous sommes pas rencontrés. Le disque s'est fait à distance.
Crains-tu parfois de devenir cynique?
Kurt: Je l'étais beaucoup plus il y a cinq ans, avant toute cette folie. J'étais devenu assez négatif. A l'époque, j'étais complètement imprégné de punk-rock. Je vivais dans cet idéal marginal: la négation complète du commerce, la rébellion intégrale. Impossible de devenir célèbre par le punk-rock, impossible de dépasser les limites de Seattle. Je n'avais envie de rien, je me sentais très bien tel que j'étais.
Quel effet la reconnaissance planétaire a-t-elle eu sur ton ego?
Kurt: Depuis Bleach, j'étais déjà assez sûr de moi. Son succès relatif et les petits concerts dans les clubs américains avaient eu raison de mes doutes, des mes angoisses. Ces dix personnes qui nous applaudissaient, en 86 ou en 87, c'est à elles que je dois d'être là aujourd'hui. Je pensais déjà avoir décroché la lune: on me payait pour jouer mes chansons et les gens aimaient ça! C'était déjà la gloire pour un type comme moi. Nous arrivions dans des villes paumées et la petite station de radio locale passait notre single. Je ne pouvais rêver mieux... Aujourd'hui, je me sens un peu dépassé. Tous ces gens qui payent pour nous voir, je ne comprends pas.
Tu as souvent dit que tu avais peur de ne plus pouvoir reconnaître tes fans, que tu craignais de ne plus savoir exactement qui ils étaient.
Kurt: C'est ma plus grosse angoisse. On a vu tellement de groupes abandonnés par leurs plus fidèles défenseurs lorsque le succès les prenait par surprise. En quelque sorte, j'avais peur de devenir orphelin. Et puis, j'ai compris que je ne devais rien à personne, que je devais suivre ma voie naturelle sans me retourner. Si certains se sentent lâchés, s'ils ne sont pas capables de partager un groupe qu'ils aiment, qu'ils aillent se faire foutre. Je n'ai aucune sympathie pour les égoïstes et les frustrés... En ce qui concerne le grand public, tous ces gens qui ont acheté Nevermind quelques mois après sa sortie, je suis incapable de parler d'eux. Je ne sais pas qui ils sont, pour qui ils votent, de quoi ils ont l'air. Certains doivent battre leur femme, d'autres doivent abandonner leur chien lorsqu'ils déménagent... Avons-nous un seul point commun avec ces gens? Tellement sont passés complètement à côté de Smells Like Teen Spirit. Ceux qui ont fait de la chanson un phénomène, ces gens qui achètent la musique qui passe sur MTV, les étudiants appliqués, les collégiens, n'ont pas compris que le message leur était destiné, que la chanson était une attaque contre "l'esprit jeune" des universités, des "parties". Je dois me rendre à l'évidence: le public de masse n'a pas compris grand-chose au groupe.
© Emmanuel Tellier, 1993
Transcript
Kurt, was passiert, wenn Du Songs schreibst?
KURT COBAIN: Unsere härtesten Fans werden das nur ungern akzeptieren, aber es ist nun mal so: Ich bin ein BeatlesFan. Ich kenne nichts Schöneres als einen Beatles-Song. Vor ein paar Jahren wollte ich unbedingt den perfekten Popsong schreiben. Ich habe den ganzen Tag nur auf dem Bett gesessen und Gitarre gespielt. Abends bin ich völlig erschöpft mit der Gitarre im Arm eingeschlafen. Aber seit unserem kommerziellen Durchbruch greife ich nicht mehr so selbstverständlich zum Instrument. Ich gehe sparsamer damit um, oder planvoller. Damals fraß die Gitarre meine Zeit und Energie auf. All meine körperlichen und mentalen Kräfte flossen in die Musik, ich bin zusehends gealtert (lächelt). Songs schreiben, immer nur Songs schreiben. Ich hatte keine Zeit mehr, auszugehen, mich mit Leuten zu treffen. Mein gesellschaftliches Leben war ein Desaster. Jetzt warte ich den richtigen Moment ab. Das kann zwei bis drei Monate der totalen Leere kosten. Doch ich habe gelernt, mich zu gedulden. Die Songs entstehen in meinem Kopf, ohne daß ich mir dessen bewußt bin. Ich höre Melodien, vergesse sie gleich wieder, und eines Tages tauchen sie wieder auf. Sie sind irgendwo in meinem Gedächtnis eingelagert. Seit ich diese Fähig-keit meines Gehirns, Emotionen, Atmosphären zu speichern, erkannt habe, bin ich viel entspannter. Der Druck, jeden Tag zu schreiben, ist weg. Endlich kann ich auch mal was anderes machen.
War denn deine Fähigkeit, Songs zu schreiben, jemals in Gefahr?
KURT COBAIN: Eine richtige Schreibblockade hatte ich nie. Aber psychisch ging es mir am schlechtesten nach der »Vanity Fair«-Affäre, nach all den Angriffen auf Courtney, meine Frau - »Courtney Love, Sängerin der Band Hole, wird vorgeworfen, während ihrer Schwangerschaft Drogen konsumiert zu haben. « In der Zeit hatte ich nicht mehr die Kraft, zur Gitarre zu greifen. Es war einfach zu viel los, ich mußte zu viele Gefühle in den Griff bekommen, scwohl meine eigenen als auch Courtneys. Wir hatten gerade ein Baby bekommen, und jetzt wollten sie es uns wieder wegnehmen. Ein paar Monate lang hat die Musik für mich überhaupt keine Rolle mehr gespielt.
Gibt es so etwas wie musikalische Rivalität zwischen Courtney und dir?
KURT COBAIN: Nein, ich würde es eher eine fruchtbare Atmosphäre nennen. Die Musik ist bei uns allgegenwärtig. Gerade gestern habe ich neue Aufnahmen von Courtney und Hole gehört, und ein paar Stücke sind wirklich phantastisch. Die hätte ich gern selber geschrieben. Für mich, der ich ausgesprochen faul bin, ist das eine Motivation. Courtney komponiert ständig. Ich dagegen habe meinen Ehrgeiz verloren. Es gibt jetzt soviel ande-res zu tun: Ich beschäftige mich mit meiner Familie, mit meinem Baby. Ich male. Ich schreibe. Und ich lese wahnsinnig viel. Aber es ist zuviel Scheiße dabei, ich sollte mich vielleicht auf Burroughs beschränken.
Und wie siehst du die Zukunft der Band?
KURT COBAIN: Weiter als ein Jahr kann ich nicht vorausdenken. Es wäre absurd, so zu tun, als würden wir Pläne schmieden, uns für die Zukunft etwas vornehmen. Wir verpflichten uns zu nichts, damit wir die Band auflösen können, sobald wir den Glauben daran verlieren.
Du hast keine Lust, bald wieder eine neue Platte aufzunehmen?
KURT COBAIN: Doch, ich will ganz schnell wieder ins Studio. Ein paar Stücke habe ich schon geschrieben. Wir wollen den Sound stark verändern, mal was anderes ausprobieren. Ich glaube, wir werden diesmal länger im Studio sein und die Technik auf ganz andere Weise benutzen. Ich möchte dutzendweise verschiedene Sounds und Gitarren übereinanderschichten, mit Samplern arbeiten, mir was ganz Neues ausdenken.
Warum habt ihr das nicht schon früher gemacht?
KURT COBAIN: Bisher war das nicht nötig. Wir wollten den Punkrock bis zum Äußersten treiben, den Weg bis zu Ende gehen. Jetzt muß ich fürchten, mich zu wiederholen. Ich bin dieser Art von Musik, dieser Grimmigkeit, ein wenig müde. Wir könnten ohne Probleme noch eine GrungePlatte machen mit genauso guten Songs wie auf »In Utero«, aber das wäre nicht ehrlich. Für uns hat diese Formel ihre Spannung verloren. Neil Young ist für mich der Größte, seine Karriere ist beispielhaft. Er hat alles gemacht, alles ausprobiert. Er hat den Leuten nie das gegeben, was sie von ihm erwarteten. So wie er würde ich gern alt werden.
Glaubst du, »In Utero« wird weniger verkaufen als »Nevermind«?
KURT COBAIN: Das ist unvermeidlich.
Bist du darauf vorbereitet?
KURT COBAIN (lächelt): Ich bete, daß das passiert, damit wir eine uns angemessene Position wiedererlangen. Seit zwei Jahren flehe ich den Himmel darum an. Vielleicht gibt es Leute, die niedrigere Verkaufszahlen für ein Versagen halten, aber uns wird das überhaupt nichts ausmachen. Ganz im Gegenteil, für uns wäre das eine Form von Erfolg. Vielleicht unser größter Erfolg.
CHRIS NOVOSELIC: Als ich Kurt damals in Aberdeen kennenlernte, war er ein guter Typ, echt cool. Er fand die besten Undergroundbands gut, er war verrückt nach Punkrock. Seine Zeit verbrachte er zwischen Platten und Zeichenbrett. Er zeichnete kleine Trickfilme, phantastisch. Ich dachte, er würde mal Zeichner werden. Daß er eines Tages Rockstar wird, damit habe ich überhaupt nicht gerechnet ... Der Alkohol hat uns zusammengebracht. Er liebte Wein und Bier genauso wie ich. Wir hingen endlose Abende in Bars herum und redeten über Musik. Aberdeen ist der Arsch der Welt, einsam und allein am Pazifik, mehr als hundert Kilometer von Seattle entfernt. Ein Loch ist das, die Bars sind voll von fetten Kühen, Holzfällern und Fischern. Du mußt dir das wie eine Art Twin Peaks ohne Laura Palmer vorstellen. Ursprünglich bestand der Ort nur aus einem Puff. Etwa zehn Nutten verkauften dort ihren Körper an Matrosen auf dem Weg nach Alaska. Und dann, als ein paar Prostituierte schwanger wurden und nicht den Mut aufbrachten wieder abzuhauen, war Aberdeen geboren.
Und wie ist die Band entstanden?
CHRIS NOVOSELIC: Kurt spielte mit Dale, dem Schlagzeuger der Melvins, zusammen. Sie hatten zwei ziemlich unglaubliche Stücke aufgenommen, ich habe nicht gezögert, da mitzumachen, und ich war überglücklich, als ich endlich meinen schäbigen Job als Lackierer in einer Fabrik aufgeben konnte, um Rockmusiker zu werden. Leute treffen, mich amüsieren, spät ins Bett gehen, Bier trinken, das war alles, was mich interessierte. Nicht mehr um sechs Uhr aufstehen und in die Fabrik gehen müssen! Schluß mit der Lackiererei! Schluß mit den giftigen Dämpfen!
Wart ihr euch des Erfolgs am Anfang schon sicher?
CHRIS NOVOSELIC: Überhaupt nicht, ich fühlte mich eher wie ein Vagabund. Jemand war im Auto an mir vorbeigefahren, hatte die Tür geöffnet, und ich war einfach aus Neugier eingestiegen (lächelt). Wir fühlten uns frei. Wir waren so froh darüber, daß wir Musik machen konnten, daß materielle Überlegungen uns am Arsch vorbeigingen. Kurt und ich wollten in Seattle auftreten, das war unser größter Traum. Wir waren bereit, dafür zu bezahlen, auf der Straße zu schlafen. Eine Platte? War mir doch egal. Kurt allerdings träumte bereits davon.
KURT COBAIN: Sagen wir, ich brauchte ein Gefühl der Bestätigung. Ich war immer der Meinung, daß es schwieriger ist, die ersten 60 Fans zu gewinnen, als mit einem Satz an die Spitze der Charts zu schießen. Als unsere Band zum allerersten Mal Beifall erntete, von unseren fünf Freunden aus der ersten Reihe, hatte ich diesen etwas absonderlichen Gedanken akzeptiert: Ich war Musiker.
Dave, wie fandest du Nirvana, bevor du selber eingestiegen bist?
DAVE GROHL: Ziemlich gut, aber nicht genial (lächelt). Ich hatte gerade meine besten Freunde verlassen, die Band Scream, mit der ich vier Jahre zusammen war. Plötzlich mußte ich am anderen Ende des Kontinents leben und mit diesen zwei Fremden arbeiten, die mich per Telefon engagiert hatten, und es hat sofort zwischen uns gefunkt. Bei der ersten Probe haben wir mit einer halben Stunde Krach angefangen, und dieser Methode sind wir immer treu geblieben. Wir lärmen rum, wir machen Witze und gucken, ob wir die nötige Wut im Bauch haben. Ich glaube, wir haben ein außergewöhnliches Gespür für Lärm und Einfachheit. Wir können viele Minuten an einem simplen, geraden Ton hängenbleiben. Manchmal ist dieser Krach vielleicht bedeutungslos und kommt nicht von Herzen. Aber schon am nächsten Tag hat alles wieder einen Sinn. Plötzlich werden wir von dem Sound verschlungen, die Instrumente sind frei, jeder explodiert ganz für sich. Das ist der Moment, der zählt. Für diesen Augenblick, für diesen Rausch, spielen wir so laut wir können.
Wie ist die Arbeit innerhalb der Band aufgeteilt? Wer trifft die materiellen Entscheidungen?
DAVE GROHL: Mit den kleinen, alltäglichen Entscheidungen haben wir nichts zu tun, die treffen andere für uns. Wo wird geprobt? Welche Techniker sollen wir mit auf Tour nehmen? Wo empfangen wir die Journalisten? Auf solche Sachen haben wir keinen Einfluß mehr. Kurt würde gern alles unter Kontrolle haben, aber das ist nicht mehr drin. Immerhin kümmert er sich um Designfragen: Plattencover, Poster, Videos sind seine Domäne. Zu den Tourneedaten, in welchen Städten wir auftreten wollen und in welchen nicht, sagt jeder seine Meinung. Meistens kommt dabei ein jämmerliches »Pffh ... warum nicht?« heraus. Wir sind dermaßen faul und lahm, daß solche Entscheidungen immer in allgemeinem Geseufze enden. Der Spruch »Mir egal« ist sehr beliebt in unserer Band.
Ihr sträubt euch also nie gemeinsam gegen etwas?
DAVE GROHL: Doch, wenn man uns verarschen will, können wir sehr heftig reagieren. Vor ein paar Wochen wollte unsere Plattenfirma, daß wir auf einer Privatparty vor 200 Showbiz-Arschlöchern auftreten. In so einer Situation sind wir uns einig: »Fickt euch ins Knie!« Kurt, Chris und ich wissen genau, wie wir uns zu verhalten haben, wenn wir mit Leuten aus dem Business reden. Wir sind von Natur aus sehr mißtrauisch.
Wo zieht ihr die Grenze zwischen Mißtrauen und Paranoia?
DAVE GROHL: Es passiert so viel um die Band herum! Ich habe da Schwierigkeiten, auf dem Laufenden zu bleiben, und ich halte mich bewußt abseits. Ich wollte niemals ein Fax bei mir zu Hause haben. Das wäre das Ende meiner Freiheit. Ich bin zu empfindlich, zu verletzlich, um mich auf sowas einzulassen. Chris dagegen will immer informiert sein. Für Kurt ist das sogar ein körperliches Bedürfnis. Wenn sein Fax kaputt ist, dreht er durch. Er hat schreckliche Angst, beschissen zu werden!
Leidet Kurt wirklich am meisten unter dem Druck?
DAVE GROHL: Keine Frage. Jeder Kontakt zur Plattenindustrie tut ihm weh. Aber es ist für uns alle nicht einfach. Niemand hatte die nötigen Voraussetzungen für die Rolle des Rockstars. Und wenn wir richtige Rockstarschweine wären, wäre uns dieser ganze Quatsch scheißegal. Echte Rockstars surfen auf Scheiße, sie können sich alles erlauben, sogar frauenverachtende Videos. Die Star-Arschlöcher leben in einer völlig anderen Welt. All diese miesen Hardrockbands scheißen auf den Respekt vor anderen Menschen.
Haben die Probleme mit eurer Situation eure persönlichen Beziehungen untereinander beeinflußt?
DAVE GROHL: Chris und Kurt sind mir nie ernsthaft auf die Nerven gegangen (lächelt). Aber der Act Nirvana kotzt mich schon manchmal an, dieses Monster, diese Maschine, zur der unsere Band geworden ist, ohne daß wir etwas dagegen tun konnten. Diese Gruppe ist viel mehr als nur drei Freunde, sie ist ein verdammtes Phänomen. Und das begreife ich einfach nicht.
Ist die Band ein ständiges Diskussionsthema bei euch?
CHRIS NOVOSELIC: Das ist unvermeidlich. Wir versuchen zu verstehen, was mit uns passiert, was wir heute für die Öffentlichkeit bedeuten. Warum gerade wir? Hatten wir einfach besonderes Glück? Wir reden auch oft über die Plattenindustrie. Über die Auswirkungen, die »Nevermind« auf das Business gehabt hat. Sind wir jetzt seine Komplizen? Oder sind wir subversive Rebellen?
Habt ihr nach »Nevermind« daran gedacht, die Band auf dem Gipfel des Ruhms aufzulösen und so den Rocktraum des »Live fast, die young« zu verwirklichen?
DAVE GROHL: Damit hätten wir die Essenz konserviert, die Musik. All die Scheiße, die um uns herumwabert, hätte sich verflüchtigt! Es wären nur noch die Songs geblieben. Das ist ein aufregender Gedanke, aber die Liebe zur Musik hat uns davon abgehalten. Kaum daß »Nevermind« draußen war, haben wir schon an die nächste Platte gedacht.
CHRIS NOVOSELIC: »In Utero« ist ganz von selbst entstanden. Die Platte ist kein Akt der Rache, keine Reaktion. Am Anfang hatten wir diesen Traum von einer gigantischen Rockplatte, einem Album, das alle existierenden Platten zu Staub zermalmen würde. Wir wollten »Nevermind«, wir wollten alle übertreffen. Und dann, im Probenstudio, waren wir plötzlich unglaublich entspannt.
Warum habt ihr den Titel eures neuen Albums zweimal geändert? Ursprünglich sollte es »I Hate Myself And I Want To Die« heißen.
CHRIS NOVOSELIC: Mir gefiel dieser Satz nicht, und das habe ich Kurt auch gesagt: »Kurt, was machen wir, wenn sich ein zwölfjähriges Gör auf einer Farm in Nebraska eine Kugel in den Schädel jagt, nachdem es unsere Platte gehört hat?« Judas Priest ist so etwas passiert und auch Ozzy Osbourne. All diese verantwortungslosen Arschloch-Bands haben solche Geschichten mit ihren schwachsinnigen Songs erlebt. So blöd sind wir nicht. Ich fand den Titel wirklich zu negativ. Und zu berechenbar. In der Presse stand soviel Unsinn: »Nirvana wollen sich umbringen! Nirvana nehmen eine Selbstmordplatte auf! Ohne Courtney Love würde sich Kurt Cobain umbringen! « Ich wollte nicht, daß die Band noch Öl ins Feuer gießt. Humor wird manchmal falsch verstanden.
DAVE GROHL: Sieh doch, was der Erfolg dieser Band angetan hat: Wir waren alle drei ausgelaugt, verbraucht von den Konzerten und dem Druck, unter dem wir stehen. Jetzt, wo wir an der Spitze sind, wollen wir alles versuchen, um diese Position auszunutzen, die uns so zu schaffen gemacht hat. Wir haben den Schock überlebt und tapfer durchgehalten. Jetzt, glaube ich, wird man uns in Frieden lassen. Menschlich gesehen sind wir stärker denn je. Als hätten wir zwei Jahre intensives Muskeltraining hinter uns.
Du hast oft gesagt, du hättest Angst davor, deine Fans nicht mehr zu kennen, nicht mehr genau zu wissen, wer sie eigentlich sind.
KURT COBAIN: Das ist meine größte Sorge. Es haben schon so viele Bands ihre treuesten Anhänger verloren, als sie mit einem Mal erfolgreich wurden. Irgendwie hatte ich Angst davor, zu verwaisen. Aber dann begriff ich, daß ich niemandem etwas schulde, daß ich meinen eigenen Weg gehen muß, ohne mich umzudrehen. Wenn sich Leute ausgestoßen fühlen, wenn sie nicht in der Lage sind, eine Band, die sie lieben, mit anderen zu teilen, dann kann ich ihnen auch nicht helfen. Über all diejenigen, die »Nevermind« ein paar Monate nach dem Erscheinen gekauft haben, kann ich allerdings auch nichts sagen. Ich weiß nicht, wer sie sind, wen sie wählen, wie sie aussehen. Sicher schlagen einige davon ihre Frau, andere setzen ihren Hund aus, wenn sie umziehen. Haben wir mit diesen Menschen irgend etwas gemein? An vielen ist »Smells Like Teen Spirit« völlig vorbeigegangen. Diejenigen, die ein Phänomen aus dem Song gemacht haben, diejenigen, die kaufen, was auf MTV läuft, die Studenten, all die haben nicht verstanden, daß die Botschaft an sie gerichtet war, daß der Song die Atmosphäre an den Universitäten, die »Parties« dort kritisierte. Ich muß mir einfach klarmachen, daß das Massenpublikum die Band überhaupt nicht kapiert.
© Emmanuel Tellier, 1993
Transcript
En 1992, ce trio livra l'album «Nevermind» et le rock ne fut plus le même. Avec une nouvelle capitale, Seattle et un nouveau nom, grunge. Avant leur concert samedi à Neuchâtel, entretien-vérité avec des célébrités grandies trop vite.
Kurt Cobain, Krist Novoselic et Dave Grohl: trois étudiants de Seattle devenus presque du jour au lendemain les héros sulfureux d'une vague américaine. Grunge, génération X ou post-nihilisme, c'est selon. Avec le disque «Nevermind» comme étendard, le groupe s'est retrouvé au centre d'une tourmente: célébrité mondiale, procès dans la presse à sensation, drogues, scandales, etc. Rencontré dans un hôtel de Seattle, serein mais prématurément usé, le trio s'explique.
Kurt Cobain: Nos fans les plus radicaux ont du mal à l'admettre, il faut pourtant qu'ils s'y fassent: je suis un admirateur des Beatles. Je ne connais rien de plus beau que leurs chansons. Il y a quelques années, j'étais obsédé par l'idée d'écrire la chanson pop parfaite.
N'avez-vous jamais de pannes d'inspiration?
Je n'ai jamais connu de véritable blocage. Psychologiquement, j'ai connu ma période la plus misérable après l'affaire Vanity Fair (Ndlr: magazine américain) et toutes les attaques contre Courtney, ma femme. (Ndlr: Courtney Love, chanteuse du groupe Hole, était accusée de se droguer pendant sa grossesse.) Je n'avais plus la force de prendre ma guitare. J'avais trop à faire, trop de sentiments à gérer, les miens, ceux de Courtney. Nous venions d'avoir un bébé et des gens terribles voulaient nous le retirer. Pendant quelques mois, la musique n'a plus compté pour moi.
Si vous aviez la possibilité de retravailler l'histoire, quelle partie changeriez vous?
Je crois que je serais allé à l'école des rock-stars. J'aurais passé mon bac de chanteur à succès, pour apprendre. Pour m'habituer aux réalités de cet univers, si différent de ce que je m'imaginais lorsque j'habitais à Aberdeen. Et puis j'aurais enregistré «In utero» avant «Nevermind», pour avancer progressivement. Nous aurions eu plus de temps, le choc aurait été moins brutal.
Vous pensez donc que votre nouvel album aura moins de succès que «Nevermind».
C'est fatal.
Et vous êtes préparés à cette éventualité?
(Sourire.) Je prie pour que cela arrive, pour retrouver notre véritable place. Cela fait deux ans que j'implore le ciel pour cela. Certains prendront peut-être cela pour un échec, mais nous, nous n'en souffrirons absolument pas. Bien au contraire, ce sera pour nous une forme de réussite. Peut-être notre plus grande réussite.
Qui souffre le plus des pressions permanentes?
Dave Grohl: C'est Kurt, sans hésiter. Chaque rapport à l'industrie du disque est une souffrance pour lui. Mais tout le monde en bave. Nous avons tous songé à quitter le groupe. Aucun de nous trois n'était prédisposé à devenir une rock-star. Les vraies rock-stars surfent sur la merde. Les vraies rockstars font des clips avec des nanas qui montrent leurs gros nichons. Les vraies rock-stars peuvent tout se permettre, même d'insulter les femmes dans leurs vidéos. Les putains de stars vivent dans un autre monde. Tous ces énormes groupes de hard minables se fichent bien de la condition féminine, du respect des autres.
Pourquoi avoir changé le titre de votre album «In Utero» à deux reprises? Le titre original était «I hate myself and I wanna die» (Je me déteste et j'ai envie de mourir).
Krist Novocelic: Je n'aimais pas cette phrase et je l'ai dit à Kurt: «Que ferons-nous si un môme de 12 ans se met une balle dans la tête, dans une ferme du Nebraska, après avoir écouté notre disque?» Judas Priest a connu ça, Ozzy Osbourne aussi. Tous ces groupes de gros cons irresponsables ont eu des histoires avec leurs chansons débiles. Mais nous ne sommes pas assez idiots pour ça. Je trouvais ce titre vraiment trop négatif. Trop prévisible, aussi. On a lu tellement d'âneries dans la presse: «Nirvana veut se suicider! Nirvana prépare un album suicidaire! Sans Courtney Love, Kurt Cobain se suiciderait!» Je ne voulais pas que le groupe en rajoute. L'humour est parfois mal perçu.
Il a été écrit dans la presse que les drogues menaçaient l'existence du groupe.
Kurt Cobain: Je comprends qu'on nous questionne là-dessus, les drogues font partie du cirque, de l'attitude rock. Mais ça reste un problème intime. Je suis le seul à connaître la vérité sur ce sujet, le seul responsable. Basta.
«In Utero» à peine fini, songez-vous à la suite?
Nous voulons opérer de profonds changements dans notre son, essayer autre chose. J'ai envie de superposer des dizaines de sons différents, des couches de guitares, des samplers. J'ai envie d'utiliser ce matériel, d'échantillonner des sons, d'inventer quelque chose de neuf.
Pourquoi ne pas l'avoir fait plus tôt?
Nous n'en avions pas besoin. Nous voulions pousser le punk rock encore plus loin, aller au bout de cette voie. Maintenant, j'aurais trop peur de me répéter. Je suis un peu fatigué par ces sons, par cette hargne. Il est grand temps de passer à autre chose. Dans dix ans, je m'imagine très bien à la maison, avec ma femme et mes enfants. Ils suffisent amplement à mon bonheur. Mais la musique sera toujours là, peut-être comme un loisir. J'ai une admiration sans bornes pour Neil Young, sa carrière est exemplaire. Il a tout fait, tout essayé. Il n'a jamais donné aux gens ce qu'ils attendaient. J'aimerais vieillir comme lui. Je voudrais être considéré comme un auteur, pas juste comme le leader de Nirvana. Il est si facile de nous imaginer bêtes et méchants, le nez dans notre musique grunge. Mais les gens ne savent pas. J'ai beaucoup d'autres choses en moi. Sont-ils prêts à m'écouter? Le temps nous le dira. Il y a un mois, à New York, nous avons terminé notre show par quelques morceaux acoustiques, accompagnés par un violoncelle. Et les gens n'ont rien compris. Ils se sont mis à parler entre eux. Leur manque de respect m'a blessé.
Vous avez dit avoir peur de ne plus pouvoir reconnaître vos fans, ne plus savoir exactement qui ils étaient.
C'est ma plus grosse angoisse. Tous ces gens qui ont acheté «Nevermind» quelques mois après sa sortie, je suis incapable de parler d'eux. Je ne sais pas qui ils sont, pour qui ils votent, de quoi ils ont l'air. Certains doivent battre leur femme, d'autres doivent abandonner leur chien lorsqu'ils ,déménagent. Avons-nous un seul point commun avec ces gens? Tellement sont passés complètement à côté de «Smells like teen spirit». Ceux qui ont fait de la chanson un phénomène, ces gens qui achètent la musique qui passe sur MTV, les étudiants appliqués, les collégiens, n'ont pas compris que le message leur était destiné, que la chanson était une attaque contre «l'esprit jeune» des universités, des «parties». Je dois me rendre à l'évidence: le public de masse n'a pas compris grand-chose au groupe.
NIRVANA, en concert à Neuchâtel, patinoire du Littoral (renseignements au téléphone 022/311 9756). Avec les Thugs en ouverture, samedi 19 dès 18 heures.
© Emmanuel Tellier, 1994