LIVE NIRVANA INTERVIEW ARCHIVE August 22, 1991 - London, UK
Personnel
- Interviewer(s)
- Emmanuelle Debaussart
- Interviewee(s)
- Kurt Cobain
- Krist Novoselic
- Dave Grohl
Sources
Publisher | Title | Transcript |
---|---|---|
Best #281 | Septième Ciel | Yes (Français) |
Radio BALISE 99.8 FM | Take Your Time | TBC |
Transcript
Trio né en 87 et basé à Seattle, Nirvana est en fait le fruit de la rencontre de deux étudiants des beaux arts originaires d'un petit bled de l'etat de Washington, Kurt Cobain et Chris Novoselic. Le troisième membre, le batteur, a plusieurs fois changé, mais le dernier en date Dave Grohl semble enfin être le bon puisqu'arrive à l'automne dernier, il détient le record de longévité.
“Nevermind, c'est pas grave, rien n'a d'importance, c'est l'expression qui revient tout le temps et qui semble caractériser l'attitude de notre génération, une bande d'apathiques qui se contente de vivre dans un rêve télévisé.”
La musique peut faire réagir?
“Un petit peu, ça peut rappeler des choses. Ceci dit nous n'avons aucune dimension politique. Simplement nous ne sommes pas du genre à dire à ceux qui nous écoutent de ne penser à rien. Mais la musique est plus importante que tout. Tu peux toujours avoir des tas d'idées à faire passer, si à la base tu n'as pas une bonne chanson, ça ne touchera personne.”
Et vous, pourquoi avez-vous échappé à cette apathie?
Kurt: “On a sans doute pris les bonnes drogues!”
Chris: “Notre génération est juste droguée par les désirs matériels. Nous aussi ça nous a rendu stone longtemps; j'ai eu jusqu'à quatre voitures auparavant! J'avais un endroit où vivre, où manger, j'avais une chaîne stéréo, des disques, une télé, je voulais tout avoir et maintenant je m'en fous, plus rien de tout ça ne m'intéresse. Juste l'amour!”
Dave: “Quand je retourne chez moi voir mes parents je retrouve mes copains d'enfance et je les trouve archi conformistes. Mais en même temps je me dis qu'ils n'ont jamais eu l'opportunité de faire autre chose. Tu te tapes quatre ans de high school, ensuite quatre ans de collège, après tu trouves un boulot, tu te maries, tu as des gosses et tu n'as plus qu'à travailler pour le restant de tes jours. Personne ne semble imaginer qu'il puisse exister une alternative à ce genre de vie. En fait, ils ne pensent pas. Ils évitent de réfléchir. Pour eux la vie est simple: ‘Birth, School, Work and Death””
Caustiques dans leur musique comme dans leur attitude, mêlant réalisme, cynisme et dérision, les membres de Nirvana n'ont pourtant rien du cliché “jeune rebelle”. En dehors des tournées ils mènent une vie plutôt pépère, marié pour Chris, aimant les animaux, la nature, bref plutôt paisible… D'ailleurs toutes les chansons de Nevermind tournent autour de l‘amour.
Chris: “Si tu renies l'amour, la paix, la fraternité parce que ça a des connotations hippies tu n'es qu'un branleur, du genre à changer de fringues tout le temps parce qu'elles ne sont plus à la mode. Je comprends juste qu'on puisse renier l'amour par nihilisme, parce que tu as trop d'amour dans ton cœur et que ton cœur est brisé.”
Question musique Nirvana ne donne pas dans le paisible, même si comme bon nombre de ses ex coéquipiers, ils ont évolué d'un heavy rock virulent à des compos un peu plus abordables, genre pop songs plongées dans un bain d'acide sulfurique pour n'en garder que l'ossature. Les mélodies sont puissantes, se gravent dans la tête, mais les guitares sont ravageuses et les ambiances torturées.
“On est des fans de metal. On aime le côté lourd et agressif, mais 99% des groupes de heavy metal sont vraiment puants. Particulièrement aujourd'hui. En plus ils sonnent tous pareil, tous comme Metallica, qui lui dans son style, est un très bon groupe. Mais c'est vrai pour n'importe quel genre musical. Il n'y a jamais qu'une toute petite poignée de groupes qui méritent d'être écoutés. Comme les Red Hot Chili Peppers dans leur branche. Ce sont les seuls à faire du funk metal blanc sauvage, tous les autres ne sont que de pathétiques imitations. Il y a plein de groupes qui de toutes manières prendront toujours le train en route, ou alors iront se réfugier dans un courant retro en se réclamant d'un vieux machin complètement inconnu. Mais dans un cas comme dans l'autre c'est une question de mode.”
Ce que vous faites n'est pas non plus tout à fait nouveau… (réactions en deux étapes, la première, un peu vexé, la deuxième sur le mode dérision)
Dave: “Le rock 'n roll est épuisé depuis longtemps. Tu ne peux rien faire d'autre que de tirer des influences de trucs ayant déjà existé. Mais nous on ne fonctionne pas à coup d'ordinateur et de samplers, ce n'est pas du pillage.”
Chris: “Les ordinateurs on ne les utilise que pour essayer de se faire un max de tunes. On travaille avec des banques de données et des systèmes ultra perfectionnés qui nous indiquent quelle orientation musicale prendre si on veut que ça marche dans tel ou tel pays…”
Dave: “Il faut avouer qu'à un moment on a été tentés par les synthés et les boîtes à rythmes pour aller se mêler au courant de Manchester. On a des espions un peu partout. Le gens de la maison de disques par exemple travaillent à notre solde et nous font des rapport détaillés sur ce qui marche pour nous permettre de définir le style à suivre!”
Vous avez souvent changé de batteur, celui là c'est le bon?
Kurt: “Non, on a déjà des tas de problèmes avec ce mec… (rire collectif). Officiellement on n'en a changé qu'une fois. Les premiers n'ont jamais vraiment été considérés comme membres du groupe, c'étaient juste des copains venus donner un coup de main.”
Chris: “Non, celui là est vraiment bien. Quand on lui dit: “saute”, il répond: "À quelle hauteur?” et non “Va te faire foutre!”. En plus, il n'est pas seulement batteur, il fait aussi office de roadie, il répond aux questions pour nous et il va nous chercher à boire.”
Dave: “Combien de bières les mecs?”
Les deux autres: “Reste assis, ça ira pour l'instant.”
Dave: “Quand ils vont se balader après les concerts et rencontrer les gens, moi je reste dans le van pour m'assurer que tout va bien. Je reprise leurs chaussettes et passe le balai, et quand ils rentrent ils me battent.”
Les joyeux drilles de Nirvana peuvent aussi se montrer sérieux. Sans être calculateurs ils sont réalistes, la tête sur les épaules dans le business comme dans la vie. Courtisés par de multiples majors, ils ont quitté Sub Pop pour bénéficier d'une meilleure distribution et d'un plus gros budget.
Chris: “On s'est senti un peu coupables au début de quitter le label, tout le monde était copains, on a commencé ensemble, dans le même esprit, et on a tous contribué à valoriser une scène dans laquelle on croyait. Mais nos disques n'étaient pas disponibles partout. Vu le contrat qui nous liait a Sub Pop il n'était pas possible d'aller chercher vers un autre indépendant. Il fallait quelqu'un qui ait les moyens de racheter ça (conditions de départ: 75000 dollars à verser à Sub Pop, qui demande aussi 2% sur les ventes des deux prochains albums, un 45t pour leur single club, et des morceaux pour des compil audio et vidéos à venir). C'est pour ça qu'on a dû se tourner vers une major. Mais ce n'est pas plus mal question moyens mis à notre disposition et de toutes façons on n'a jamais partagé les scrupules viscéraux de Mudhoney vis à vis des grosses boîtes.”
Kurt: “Ma théorie est que les majors vont tellement piquer de groupes aux indépendants que tous les mecs des labels vont se retrouver au chômage et du coup se feront embaucher par les dîtes majors pour leur connaissance de la scène underground! C'est vrai que dans la plupart des grosses boîtes on a rencontré des gens qui sortaient des milieux indé. Parce que les autres employés devaient être là depuis 20 ou 25 ans et à part MC Hammer n'avaient pas la moindre idée de ce qui pouvait se faire en ce moment! Ils ignorent tout ce qui s'est passé ces cinq dernières années, tout de la scène alternative. Les majors vont sans doute devenir plus à même de comprendre ce qui se passe en ce moment”.
Avec des concerts de plus en plus bondés et un album qu'on s'arrache Nirvana risque de devenir dans la foulée des Pixies le groupe américain des années à venir et en attendant, sans aucun doute l'un des groupes phare de 91. Conscients de leur potentiel, ils donnent le maximum sans se prendre la grosse tête…
Kurt: "Être célèbres, c'est un piège, quelle utilité? Maintenant quand on se promène on entend les kids murmurer “hé, c'est un mec de Nirvana”. C'est ridicule mais surtout embarrassant. Tu te sens bizarre, comme une bête curieuse. Le plus frustrant ce sont ceux qui te demandent des autographes. On dirait qu'il n'y a que ça qui les intéresse. Il y a même un mec un jour qui, ayant récupéré un poème dédicacé d'Henry Rollins, est venu vers moi pour me demander d'y rajouter ma signature. Je n'ai jamais compris pourquoi! Moi ça ne m'est jamais arrivé de demander un autographe à qui que ce soit. Si j'ai l'opportunité de me retrouver en face d'un artiste que j'apprécie, j'aurais envie de parler avec lui, pas de lui faire signer un bout de papier”.
Mais le coup de l'autographe n'est peut-être justement qu'un prétexte pour engager la conversation…
Kurt: “Rarement. Quand ils viennent je leur serre la main, je leur demande comment ça va et j'essaie de lancer la discussion. Mais visiblement ça les fait chier, ils attendent juste l'autographe pour pouvoir se casser. C'est une espèce de trophée. Je ne comprends pas les collections, même les disques. Il y a tellement de choses plus importantes. La seule raison qui puisse pousser à garder des trucs c'est de spéculer sur le fait qu'un jour ça prenne de la valeur. C'est ridicule de miser là dessus. On ne sait pas à quoi ressemblera l'existence dans quelques années, mais à mon avis on aura bien trop à faire pour rester en vie, vraiment pas le temps de se soucier des trucs accumulés. C'est complètement futile.”
Chris: “La seule vraie valeur c'est la passion. Mais d'un point de vue réaliste, sans perdre de vue le sens du fun et en prenant le temps de vivre. Qui de nous sera encore vivant dans quarante ans ? Personnellement, je ne m'imagine pas avoir 66 ans un jour. Et quarante ans ce n'est pas long alors il faut en profiter. Le problème aujourd'hui est que les gens sont trop sérieux et qu'en même temps ils préfèrent s'aveugler, trouver des prétextes, pour ignorer ce qui est vraiment sérieux.”
© Emmanuelle Debaussart, 1991
Transcript
TBC
© Emmanuelle Debaussart, 2021